Le moustique-tigre à la conquête de la France
Publié dans Le Monde le 23 juin 2023 • Par Anne Hazard, Romain Imbach, Adèle Ponticelli et Delphine Roucaute
Cet article fait partie de notre série « Le Monde » consacre une grande enquête à l’adaptation de la France au réchauffement climatique. La rédaction s’est mobilisée pour raconter, à travers onze chapitres, publiés du 11 juin au 16 juillet, l’immensité du défi et l’urgence de l’action.
Dans le jardin de ce coquet pavillon de Clapiers (Hérault), commune en périphérie de Montpellier, deux pièges, considérés comme les plus efficaces contre les moustiques, ont été installés côte à côte. L’un cible les femelles gravides en recherche d’un endroit pour pondre : elles sont attirées par l’eau disposée au fond du piège et sont retenues prisonnières entre un filet et une surface adhésive où elles se collent et meurent. L’autre est plus sophistiqué et cible tous les moustiques attirés par les humains grâce à des leurres : du CO₂ simulant leur respiration et des granulés censés reproduire leur odeur, un mélange peu ragoûtant d’acide lactique, d’ammoniaque et d’acide caproïque.
Sous le soleil de ce début mai, quelques moustiques tournoient au-dessus des pièges, narguant cet attirail de guerre, et une femelle profite de l’humidité de la haie de lierre pour se reposer entre deux festins de sang, nécessaire au développement de ses œufs. « On commence tout juste à dîner dehors et ça pique déjà. Je ne sors pas de ce quartier et il faut que je chope des virus qui viennent de je ne sais où », plaisante à moitié Didier Six, à côté de sa piscine couverte d’une bâche. Pourtant, « les pièges à CO₂ capturent cinq à dix fois plus de moustiques que les autres modèles », assurent Cyrille Czeher et Nicolas Le Doeuff-Le Roy, agents de l’Entente interdépartementale pour la démoustication du littoral méditerranéen (EID Méditerranée) chargés d’étudier l’efficacité de ces dispositifs depuis trois ans.
Mais il ne s’agit pas de n’importe quel moustique. Plus connu sous le nom de « moustique-tigre », l’Aedes albopictus est le champion de l’adaptation. Il a débarqué en France, à Menton (Alpes-Maritimes), en 2004, et est peu à peu remonté vers le nord, colonisant des communes dans 71 départements. Venu des zones tropicales d’Asie par le biais du commerce de pneus d’occasion, ce petit insecte ne volant pas à plus de 150 mètres de son lieu de naissance s’est accoutumé au climat tempéré d’Europe, notamment grâce à sa capacité à mettre ses œufs en dormance pendant l’hiver, leur permettant de résister ainsi au froid et au gel. Dès que les températures remontent, il suffit d’une pluie pour relancer leur processus de développement. Au cœur de l’été, seuls huit jours sont nécessaires pour passer de l’œuf à l’adulte en quête de nourriture. Nectar pour les mâles, sang pour les femelles.
Transmettre des maladies encore rares
L’Aedes albopictus a aussi la particularité d’être attiré avant tout par les humains, ce qui n’est pas le cas de tous les moustiques présents en France et, surtout, de se développer dans les environnements urbains et dans toutes les zones de rétention d’eau laissées par les humains, comme les pots, jeux d’enfants, brouettes et autres réservoirs oubliés dans les jardins. Cela fait donc de lui une nuisance particulière de mai à novembre, et grandissante d’année en année.
L’impact d’Aedes albopictus ne se limite pas à l’inconfort des piqûres, puisqu’il est capable de transmettre des maladies encore rares sur le territoire : la dengue, le chikungunya et le virus Zika. Une étude française publiée le 5 juin dans la revue Plos Neglected Tropical Diseases a montré qu’ils étaient également capables de véhiculer les virus du Nil occidental et Usutu. Il suffit donc que des voyageurs reviennent contaminés de zones où ces maladies vectorielles sont endémiques et croisent la route d’un moustique-tigre pour amorcer une potentielle épidémie. C’est ce qui est arrivé au cours de l’été 2022, durant lequel 65 cas de dengue autochtones, c’est-à-dire contaminés sur le territoire français, ont été comptabilisés – la plus grande épidémie de dengue qu’ait connue la France métropolitaine.
Chaque territoire est désormais chargé de gérer localement cette nouvelle menace. Une bataille en ordre dispersé, dépendant de collectivités locales plus ou moins sensibilisées au problème. Si 141 communes sur 163 sont considérées comme colonisées dans les Alpes-Maritimes depuis 2016, d’autres ont découvert le problème en 2022, comme le bourg de Domagné, première et seule commune colonisée d’Ille-et-Vilaine. Pourtant, la marche de l’Aedes albopictus semble aujourd’hui inexorable. « D’ici cinq ou six ans, il sera partout sur le territoire métropolitain », anticipe Johanna Fite, chargée de mission vecteurs et lutte antivectorielle à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
Des moustiques-tigres dans la laboratoire de l’Entente interdépartementale pour la démoustication du littoral méditerranéen, à Montpellier, le 4 mai 2023. Rémy Artiges pour « Le Monde »
Les déplacements de marchandises ou de personnes sont la cause principale de l’expansion dans le monde de cet insecte, qui n’hésite pas à prendre la route en s’invitant dans l’habitacle de véhicules pour repousser son aire de répartition. Mais son pouvoir de nuisance est encore démultiplié par le réchauffement climatique. Comme l’explique Anna-Bella Failloux, professeure en entomologie médicale et cheffe de l’unité Arbovirus et insectes vecteurs de l’Institut Pasteur à Paris, « le moustique, comme tous les insectes, est incapable de réguler sa température interne, donc le réchauffement du climat a nécessairement un impact sur son cycle de vie ».
Plus de moustiques, plus vite contagieux
L’augmentation générale des températures a pour principales conséquences d’allonger sa période d’activité et d’étendre vers le nord la zone géographique favorable à son bon développement. Mais l’accélération du métabolisme du moustique réduit également le temps nécessaire aux virus pour se propager dans tout son corps, écourtant le délai avec lequel il devient infectieux pour l’homme. Enfin, les températures élevées réduisent le temps de développement de la larve. Avec le réchauffement climatique, c’est donc plus de moustiques, plus vite contagieux.
« Le changement climatique a joué un rôle-clé en facilitant la propagation des moustiques vecteurs », rappelait Raman Velayudhan, qui coordonne l’initiative de l’Organisation mondiale de la santé sur la dengue et les arbovirus, lors d’une conférence de presse le 5 avril. Le nombre de cas de dengue dans le monde a augmenté de manière spectaculaire ces dernières années, passant d’environ un demi-million en 2000 à 5,2 millions en 2019.
Autour de Montpellier, le quotidien des habitants est bouleversé par l’arrivée du moustique-tigre depuis plus de dix ans. Particulièrement actif à l’aube et au crépuscule, l’Aedes albopictus, connu pour sévir à l’heure de l’apéro, a vite chamboulé les habitudes. Un territoire idéal pour mesurer l’efficacité concrète des pièges sur la densité de moustiques. Dans trois quartiers de Clapiers, Saint-Clément-de-Rivière et Castelnau-le-Lez, au nord de Montpellier, 80 % des jardins ont reçu au moins un piège. En trois ans d’étude, les agents de l’EID Méditerranée ont observé des résultats très variables selon les quartiers, de 20 % à 69 % de réduction de la population de moustiques par rapport aux quartiers témoins, soit une moyenne de – 30 % à – 40 %.
Il « pourrit la vie des gens »
« C’est à peu près aussi efficace que d’autres méthodes comme la lutte mécanique ou la technique de l’insecte stérile », souligne Cyrille Czeher, chargé du projet Vectrap. La lutte mécanique consiste simplement à faire régulièrement disparaître les gîtes larvaires, c’est-à-dire les lieux de ponte que sont les pots ou autres réservoirs d’eau dans les jardins. La technique de l’insecte stérile (TIS) est plus complexe et onéreuse : il s’agit de relâcher un grand nombre de mâles rendus stériles en laboratoire afin que, s’accouplant avec des femelles sauvages, ils rendent leurs œufs non viables.
Pourquoi ne pas recourir tout simplement aux insecticides ? Seule la deltaméthrine est autorisée en France, mais étant très toxique pour les animaux et les humains, son usage est strictement limité aux traitements mis en œuvre lorsqu’il y a des cas avérés de maladie vectorielle, pour empêcher que les moustiques ne piquent les malades et transmettent ensuite le virus aux voisins. Par ailleurs, ce produit entraîne une résistance chez les insectes ; à trop l’utiliser, il deviendrait totalement inefficace. Pour empêcher la prolifération des moustiques, il faut donc recourir à des techniques diverses et complémentaires, aucune n’étant efficace à 100 %. Le piégeage est l’une d’elles.
A Clapiers, dans le quartier du Baillarguet, Marie-José et René Lazaro ont dû abandonner les dîners dans le jardin avec l’arrivée du moustique-tigre, qui « pourrit la vie des gens ». Cela rappelle de mauvais souvenirs à Marie-José. En 1956, elle fréquentait à quelques kilomètres de là la station balnéaire de Palavas-les-Flots, « une horreur », non pas à cause du tourisme de masse mais de l’invasion de moustiques qui accaparaient alors une grande partie du pourtour méditerranéen, troué de zones marécageuses.
Dispersion des responsabilités
Une cinquantaine d’espèces locales de moustiques se partagent ce territoire gagné par la fièvre du tourisme, appartenant essentiellement à trois familles, les Aedes, les Culex et les Anopheles. Les Culex sont prédominants en France, et notamment le Culex pipiens, dit « moustique commun », qui peuple les chambres la nuit de son bourdonnement entêtant. Commun ne veut toutefois pas dire inoffensif, puisqu’il peut transmettre les virus du Nil occidental ou Usutu. Les anophèles, quant à eux, étaient les vecteurs du paludisme jusqu’à ce que cette maladie soit éradiquée de la France métropolitaine.
C’est dans les années 1960 que l’Etat organise la lutte contre les moustiques, priorisée comme préalable à tout développement touristique. Naît alors l’EID Méditerranée, qui s’impose pendant une soixantaine d’années comme l’opérateur public principal dans ce domaine. Depuis 2019, le paysage a fortement changé, avec un décret affectant la lutte antivectorielle aux agences régionales de santé (ARS), qui ont ouvert le marché à de nouveaux opérateurs privés, dispersant encore plus les responsabilités.
« Si le moustique-tigre est considéré comme une nuisance, c’est un problème de collectivité locale : les maires se débrouillent avec des opérateurs qu’ils payent pour lutter contre le moustique et ils font de la communication. Si le même moustique, et parfois au même endroit, se met à transmettre des virus, ça devient une affaire d’Etat, et les ARS donnent ordre à des opérateurs de démoustication d’intervenir autour des cas et des foyers », explicite Didier Fontenille, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement, à Montpellier. Dans un avis rendu le 5 avril, le comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars) « a signalé que c’était un peu confus », souligne l’entomologiste, ajoutant : « Un moustique “nuisant” est un vecteur qui s’ignore. »
Le Covars souligne un manque de dialogue entre les donneurs d’ordre, les entreprises publiques et privées, les collectivités, les associations de riverains et les chercheurs. Ces frictions de terrain s’observent particulièrement à Montpellier, où se situe le siège de l’EID Méditerranée, mais où le marché de la démoustication a été remis par l’ARS à une jeune société privée, Altopictus, dont le directeur est un ancien technicien formé à l’EID. « La cohabitation ne se fait pas bien. On ne se croise pas sur le terrain. Ce sont des gens qu’on a formés, payés, et qui aujourd’hui nous font concurrence. C’est dommage que l’ouverture à la concurrence fragilise les opérateurs publics », argumente Grégory L’Ambert, responsable à l’EID du pôle de lutte préventive contre Aedes albopictus.
« La vie dehors, c’est terminé »
De son côté, Charles Tizon, directeur d’Altopictus, souligne qu’« il y a toujours eu des problèmes de gouvernance dans la lutte antivectorielle en France ». Selon lui, certains opérateurs historiques, comme l’EID Atlantique, créé pour lutter contre les moustiques des marais en Charente-Maritime, « ont eu des difficultés d’adaptation à cette nouvelle espèce qu’est Albopictus et ont dû fermer leurs portes ». Aujourd’hui, si l’EID Méditerranée se concentre sur la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Altopictus se positionne dans 32 départements, de l’Occitanie au Grand-Est – le moustique-tigre sévit dans certains quartiers de Nancy – en passant par la Bretagne, où la société est en train d’ouvrir un bureau à Rennes pour préparer sa probable arrivée. Puisque, selon les éléments de langage de la société, « le moustique-tigre est devenu l’animal domestique le plus répandu de France, voire d’Europe ».
A la mi-avril, à Limoges, Altopictus a été mandaté par l’ARS et la ville pour une opération à la suite d’une « primo-infestation ». En 2022, un moustique-tigre a été signalé par un riverain sur la plateforme Signalement-moustique, déclenchant une intervention de prévention, afin de détruire le maximum de gîtes larvaires. Un an plus tard, les agents reviennent faire le tour du pâté de maisons pour vérifier si des œufs ont malgré tout persisté pendant l’hiver et donné naissance à des larves.
En menant l’enquête de voisinage, les agents d’Altopictus relèvent que sur un ensemble de trois rues, ce sont en tout trois personnes qui affirment avoir déjà croisé la route d’un moustique-tigre l’année précédente. Mais, heureusement, aucune larve à l’horizon. Certains, comme Anne-Marie Gillet, sont conscients de la menace, sensibilisés par des vacances dans le sud de la France ou par des reportages à la télévision. Sable dans les coupelles des plantes, moustiquaire autour de son réservoir d’eau : « Je veux tout faire pour ne pas en avoir, parce qu’une fois qu’il y en a, la vie dehors, c’est terminé », avance la jeune grand-mère. Une autre riveraine résume : « On n’avait pas besoin de ça. Après le Covid, le moustique. » Mais pour la plupart, la menace semble encore bien lointaine.
Pièges sur le tarmac
Dans la Haute-Vienne, quelques villes sont déjà considérées comme colonisées, à l’instar de Saint-Yrieix-la-Perche depuis 2020 ou Le Palais-sur-Vienne depuis 2022. « Limoges n’est pas encore colonisée, on espère gagner quelques années en enseignant les bons gestes aux habitants, explique Flavien Thiers, agent d’Altopictus basé à Mérignac (Gironde). Car une fois que le moustique a colonisé un territoire, on ne peut plus s’en débarrasser, il faut vivre avec. »
En Ile-de-France, le moustique s’est installé durablement à partir de 2015. D’abord à Créteil, dans le Val-de-Marne, avant d’étendre progressivement son installation à près d’une centaine de communes de la région, y compris Paris, dans lesquelles résident « environ 45 % des habitants de la région », précise Raphaël Taravella, ingénieur chargé de la lutte antivectorielle à l’ARS Ile-de-France. C’est la région métropolitaine qui concentre le plus de cas importés de maladies virales transmises à l’homme par un insecte vecteur, principalement de dengue. Au total, 86 cas ont été détectés en 2022 (76 de dengue et 10 de chikungunya) – les malades ont été infectés par le virus à l’étranger, mais la maladie ne s’est déclarée qu’à leur retour en France.
C’est naturellement autour des quatre aéroports de la région (Roissy, Orly, Le Bourget et Vélizy-Villacoublay), portes ouvertes sur l’extérieur, et autour des hôpitaux possédant un service de maladies infectieuses que se concentre une attention particulière en matière de surveillance du moustique-tigre. Aucun cas de contamination autochtone n’a jusqu’à présent été détecté dans la région.
En ce début mai encore frais et gris, l’équipe de l’Agence régionale de démoustication (ARD) s’active sur le tarmac de l’aéroport d’Orly pour installer une quinzaine de pièges pondoirs à moustiques-tigres, qui seront relevés tous les quinze jours. L’entreprise privée a remporté le marché en Ile-de-France pour suivre la progression de l’implantation du moustique-tigre, mais aussi pour réaliser les enquêtes consécutives à la détection de cas de dengue, de Zika ou de chikungunya dans la région.
300 à 400 signalements par an
A Orly, Anaïs Karch et Hugo Sellan, de l’ARD, inspectent la zone aéroportuaire à la recherche de gîtes larvaires et de potentiels œufs et larves à envoyer au laboratoire. Cette inspection approfondie permet de signaler aux autorités aéroportuaires la présence de pneus et autres contenants d’eaux stagnantes sur lesquels porter une attention particulière. « Lors de notre dernier passage, nous avions signalé ces bacs en plastique qui prenaient l’eau. Ils ont été stockés depuis à la verticale et une large cuve stockant des bidons vides a été remplacée par une autre laissant s’évacuer l’eau », se félicite Anaïs.
« La complexité de la zone aéroportuaire réside dans la multitude d’acteurs qui se partagent l’espace », résume Cécile Somarriba, directrice de la veille et de la sécurité sanitaire à l’ARS. En plus de la surveillance larvaire, les vols en provenance de certaines destinations infectées font l’objet de procédures de désinfection en cabine réalisées par les membres de l’équipage.
Le 12 mai 2023, dans la zone aéroportuaire d’Orly. Les pneus abandonnés font partie des objets qui peuvent offrir des microhabitats pour la ponte des moustiques-tigres
Dans toute l’Ile-de-France, ce sont 526 pièges pondoirs qui permettent de suivre et de mesurer la présence et l’avancée d’Aedes albopictus. Mais pour Raphaël Taravella, « il faut aussi souligner l’efficacité du réseau de signalement citoyen », grâce à la plateforme permettant de signaler la présence du moustique-tigre en fournissant une photo. Sur 300 à 400 signalements par an, la moitié correspondent bien à des moustiques-tigres. Malgré tout, le Covars estime que la plateforme et « les sites professionnels d’information pour la prévention ne sont pas assez opérationnels et doivent être améliorés », notamment en les intégrant aux systèmes de veille internationaux.
Changement global des comportements
La menace, pour les prochaines années, pourrait bien venir de grands événements internationaux se déroulant en métropole, comme la Coupe du monde de rugby, en septembre 2023, ou les Jeux olympiques et paralympiques, à l’été 2024. L’Anses a été chargée de rédiger un avis pour évaluer la probabilité d’épidémies en lien avec ces événements sportifs, mais ses conclusions ne doivent pas être rendues publiques avant l’été 2024. Les opérateurs publics et privés étaient déjà proches de la saturation à l’été 2022, avec seulement 65 cas autochtones à gérer, ce qui est source d’inquiétude à tous les niveaux de la lutte antivectorielle. D’autant plus qu’aucun modèle statistique ne permet encore d’anticiper à quoi ressemblera l’été 2023 ni quelle sera l’ampleur de la propagation les étés suivants.
Des méthodes innovantes se développent en France et à l’étranger pour combattre les moustiques-tigres. La Nouvelle-Calédonie, notamment, teste depuis 2019 le lâcher de moustiques contaminés par Wolbachia, une bactérie qui les empêche de transmettre la dengue, le virus Zika ou le chikungunya. La technique de l’insecte stérile, expérimentée depuis plus de dix ans par l’Institut de recherche pour le développement à La Réunion avec des résultats très prometteurs, est en cours d’importation en métropole.
Dans le laboratoire
Aedes albopictus a colonisé Montpellier dès 2011. Depuis, il y est étudié à la loupe dans les laboratoires de l’Entente interdépartementale pour la démoustication du littoral méditerranéen (EID Méditerranée), agence publique chargée depuis sa création, en 1959, de contrôler les moustiques nuisants issus des zones humides.
Dans le laboratoire de confinement, des moustiques d’origine tropicale sont élevés dans l’insectarium afin de tester l’efficacité de certains biocides et de détecter l’apparition d’éventuels phénomènes de résistance.
Les moustiques-tigres se développent ainsi dans une atmosphère maintenue à 28 °C avec 70 % d’humidité. Ils sont nourris avec de l’eau sucrée et du sang animal.
Les chercheurs doivent se montrer très prudents et éviter que des spécimens adultes ne s’échappent ou que des œufs ne soient emportés dans les évacuations d’eau, risquant ainsi de se reproduire à l’extérieur.
Mesurant à peine 5 mm, le moustique-tigre n’en représente pas moins une menace sanitaire, pouvant transmettre cinq types de virus encore rares sur le territoire métropolitain.
Après un premier essai de lâcher de mâles stériles par drone à Prades-le-Lez (Hérault) en 2021 par l’EID Méditerranée, la jeune start-up Terratis a prévu de tenter l’exercice de son côté en avril 2024 sur 100 hectares près de Montpellier à partir d’un élevage de moustiques stérilisés dans un hangar de 200 mètres carrés, avec lâcher au sol. La construction d’une ferme d’élevage est quant à elle prévue pour 2025, pour un élevage massif en 2028. « Le but est de réduire les populations de moustiques là où elles apparaissent ; la TIS pourrait être très efficace en début de colonisation, empêchant l’installation durable de cette espèce très invasive », estime Clelia Oliva, fondatrice et présidente de Terratis.
Mais « il n’existe pas de solution miracle, rappelle Johanna Fite, de l’Anses. Il faut avant tout une mobilisation sociale, apprendre aux habitants à se protéger et à réduire les gîtes larvaires ». Pièges, répulsifs, TIS ou autres innovations ne peuvent que venir compléter un changement plus global des comportements. Comme souvent en santé publique, rien n’est possible sans la mobilisation de tous. A Clapiers, Didier Six en a bien conscience : « Il suffit qu’il y ait un voisin qui ne fasse pas le travail, et c’est foutu. »